Retour sur le webinaire du 2 juin 2025 – un évènement réussi pour célébrer la sortie du rapport de recherche sur le leadership normatif de l’OMS

Par Gaëlle Foucault et Catherine Régis[1]

« The report is timely and essential » (Roojin Habibi)

Le 2 juin 2025 s’est tenu le webinaire intitulé « Perspective on WHO’s Normative Leadership: An Empirical and Comparative Analysis of Six States », à l’occasion duquel huit intervenants ont présenté et commenté les résultats du rapport intitulé The Normative Leadership of the World Health Organization (WHO): A quantitative analysis (2025). Ce rapport, sorti en 2025, offre une exploration détaillée de l’utilisation en droit interne du droit international de la santé, et plus précisément celui produit par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Diverses recommandations en résultent, dont l’une qui invite l’OMS à diversifier ses relations avec les acteurs étatiques au-delà des seuls ministères de la santé. Éclairées par l’expertise de chaque intervenant, les données recensées dans ce rapport ont suscité de vives réflexions et discussions, notamment en raison du climat actuel ambivalent relatif à l’OMS qui est marqué à la fois par des inquiétudes (départ annoncé des États-Unis et de l’Argentine de l’OMS) et par un regain d’espoir (adoption du « Traité pandémie »[2]).  

        Le webinaire s’est ouvert par une présentation de Catherine Régis (chercheuse principale) qui a rappelé les objectifs du projet de recherche à l’origine de ce rapport[3]. Destiné à comprendre le processus d’atterrissage des normes produites par l’OMS dans les juridictions internes et le leadership normatif de cette dernière, ce projet repose sur une méthodologie interdisciplinaire et empirique qui ouvre la voie à une compréhension fine et concrète de ce voyage des normes internationales en droit interne.

  Forte de l’analyse de plus de 5800 instruments nationaux (lois, règlements et décisions de justice), et cela dans huit États (Brésil, Canada, Costa Rica, États-Unis, France, Israël, Nouvelle-Zélande et Suisse), cette recherche a présenté des résultats inédits, dont la pertinence a été confirmée par l’ensemble des intervenants du webinaire, notamment dans un contexte contemporain sous tension pour l’OMS et pour le droit international.

        Le webinaire a ensuite été enrichi par la présentation détaillée des données et par les commentaires de six intervenants : Miriam Cohen (Brésil), Pierre Larouche (Canada), Hugo Muñoz (Costa Rica), Gaëlle Foucault(France), Sandra Hotz (Suisse) et Katherine Ginsbach (États-Unis).

L’ensemble de ces présentations a mis en exergue l’importance de contextualiser les données, essentielle pour appréhender avec précision les modalités et facteurs de l’atterrissage des normes internationales en droit interne. Ainsi, à la lumière de leurs commentaires, une conclusion ressort unanimement : il n’existe pas un modèle universel (« one size fits all ») pour expliquer le voyage des normes de l’OMS. À cet égard, les nombreux graphiques présentés dans le rapport rendent compte des portraits différenciés des États qui ont pu être produits sur le fondement des données collectées en droit interne. Si, par exemple, au Canada et en Nouvelle-Zélande, les références trouvées à l’OMS dans les règlements sont minimes (respectivement 7% et 5% de leur corpus respectif), elles sont nettement moins marginales au Costa Rica et en France (respectivement 28% et 30% de leur corpus respectif). Il y a également lieu d’observer un autre contraste saisissant du côté des juridictions suprêmes : alors que plus de 1000 décisions citant l’OMS ont été trouvées au Costa Rica, en Suisse et au Brésil, seuls 4 décisions ont été recensées aux États-Unis et une seule en Nouvelle-Zélande.

Les caractéristiques nationales constituent ainsi un élément déterminant à la réception du contenu normatif produit par l’OMS comme l’ont confirmé les intervenants, ce qui constitue un véritable défi pour cette dernière. Par exemple, Hugo Munoz a expliqué qu’en tant qu’État civiliste, le Costa Rica est guidé par le formalisme juridique qui impose aux sources matérielles (ici les normes de l’OMS non contraignantes) d’être incorporées en droit interne par un acte contraignant, ce qui pourrait expliquer le grand nombre de règlements citant l’OMS trouvés dans cette recherche. De même, que ce soit la spécialisation (ex : en matière d’assurances) (Sandra Hotz) ou le champ de compétences des tribunaux nationaux (Miriam Cohen) ou encore la portée du pouvoir réglementaire accordé aux autorités exécutives nationales (Gaëlle Foucault), tous peuvent jouer de manière significative sur la réception des normes de l’OMS par les autorités nationales. En l’occurrence, en reposant sur des États aux caractéristiques différentes (fédéral/unitaire – moniste/dualiste – parlementaire/présidentiel/hybride – common law/civiliste, etc), l’analyse développée dans le rapport, enrichie par l’expertise des intervenants, a permis de mettre en évidence les caractéristiques les plus susceptibles d’influer sur l’adoption (ou non) des normes de l’OMS par les autorités nationales.

De manière analogue au rapport, deux angles ont trouvé un soutien plus unanime de la part des intervenants en tant que facteur d’utilisation des normes de l’OMS : le contexte de crise et l’expertise de l’OMS. Rappelons que le rapport relève qu’en 2020, en pleine crise de la Covid-19, les références à l’OMS ont augmenté pour tous les États étudiés, à des degrés divers. De même, si l’expertise de l’OMS avait également été vivement soulignée notamment à l’aune de la Classification internationale des maladies (CIM) qui est l’instrument de l’OMS le plus cité dans le corpus de cette étude (1959 références trouvées), ce constat a été consolidé par la présentation de Pierre Larouche. Son intervention a, en effet, permis de souligner qu’il importe de ne pas concevoir cette organisation internationale comme étant seulement une entité normative ou politique, mais bel et bien comme une experte détenant des connaissances scientifiques, afin de comprendre la mobilisation de ses normes par les experts nationaux. À cet égard, il a notamment insisté sur l’existence de « canaux parallèles » aux processus législatif et réglementaire traditionnels qui placent les experts comme des acteurs du voyagedes normes de l’OMS, notamment à l’occasion de différends présentés devant les juges nationaux.

En outre, les commentaires de Katherine Ginsbach ont confirmé le rôle fédérateur de l’OMS, un rôle partagé par de nombreuses organisations internationales. L’OMS doit, en effet, être saluée pour ses efforts d’uniformisation et d’harmonisation des positions, par exemple des signes et des symptômes des maladies (voir la CIM), qui sont essentiels dans un contexte de globalisation ou au sein d’États de grande taille et de structure fédérale, tels que les États-Unis.

Les présentations ont, ensuite, été clôturées par les mots de Roojin Habibi qui a souligné l’intérêt et l’importance de comprendre au mieux l’impact des normes de l’OMS (et au-delà des seuls instruments contraignants), d’autant plus aujourd’hui eu égard au contexte rappelé précédemment. Comprendre l’impact requiert ainsi de s’intéresser à la phase « traduction et intégration en droit interne », ce qui s’avère plus que pertinent à l’aune de l’adoption récente des amendements au Règlement sanitaire international et du « Traité pandémie », en vue d’amplifier leurs effets. En éclairant le processus d’atterrissage des normes de l’OMS en droit interne, tant en offrant des explications que des illustrations concrètes, le rapport répond à cet appel lié au besoin d’une meilleure compréhension de l’impact des normes de cette organisation internationale, ce qui constitue un véritable défi[4], notamment en l’absence de mécanisme de rétroaction ou de dialogue entre l’OMS et les destinataires de ses normes. C’est précisément sur ce point que Roojin Habibi a souligné que l’analyse produite dans le rapport pouvait constituer une contribution pour le droit international général.

        Enfin, le temps des questions a permis aux intervenants de revenir sur un moment de bascule pour l’OMS, que nul ne pouvait ignorer en ce 2 juin 2025 : l’avenir menacé de cette organisation par le départ annoncé de son premier contributeur, les États-Unis. Si Catherine Régis a souligné, à partir des entrevues menées lors du projet de recherche, que l’ensemble des acteurs clés interrogés (société civile, monde académique, personnel OMS et d’autres organisations…) avait reconnu le caractère irremplaçable de l’OMS, une forme d’inquiétude persiste face à la sévérité des contraintes financières rencontrées par l’OMS et rappelées par Roojin Habibi. Plusieurs questions se posent alors : quel est l’avenir de l’OMS ? Comment peut-elle poursuivre sa mission qui est d’« amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible » (art. 1 de sa Constitution) ? En l’occurrence, potentialiser les forces de l’OMS et prioriser les missions où l’Organisation est indispensable pourraient être des options stratégiques pour cette dernière (Catherine Régis).

Du côté américain, les doutes s’installent également, notamment en raison de la collaboration historique de ce pays avec l’OMS. Si la question de ce que deviendrait l’OMS sans les États-Unis doit être posée, la question inverse s’impose tout autant. Sur le fondement des commentaires de Katherine Ginsbach et Pierre Larouche, un certain optimisme naît à ce sujet en raison de la mobilisation de la communauté scientifique pour conserver les normes, les connaissances et les données et de l’impossibilité réaliste de rompre entièrement les liens entre les professionnels de santé et l’OMS, comme le souhaiterait le gouvernement américain.

        C’est ainsi sur une note d’enthousiasme que s’est achevé ce webinaire, tant pour la santé mondiale que pour la recherche en droit international. Et la recherche ne s’arrête pas là… Portée par des échanges passionnants et des intervenants aux idées riches et stimulantes, de nouvelles pistes de recherche ont été proposées afin de prolonger la réflexion sur le leadership normatif de l’OMS et son impact au niveau national.

·      Explorer comment les États influencent et façonnent l’agenda de l’OMS (Pierre Larouche).

·      Réfléchir à l’élaboration de cadres juridiques hybrides (« hybrid legal frameworks ») qui intégreraient mieux les normes internationales de droit souple tout en conservant de la sécurité juridique (Hugo Muñoz).

·      Analyser le processus législatif / politique dans son ensemble pour pallier le manque de mention à l’OMS dans la version finale du texte (Sandra Hotz et Roojin Habibi).

·      Explorer davantage la réception des normes de l’OMS à l’échelle sous-nationale, notamment dans des contextes où le fédéral se détourne de la science fondée sur des données probantes (Katherine Ginsbach et Roojin Habibi).

·      Explorer le contexte concurrentiel causé par l’augmentation des alternatives régionales (Roojin Habibi).

·      Explorer l’impact de la question des ressources et capacités étatiques sur leur adoption et suivi des normes de l’OMS (Roojin Habibi).

L’évènement est disponible sur le site youtube du CRDP à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=p2UyFCyt4_0&t=2679s

[1] Nous tenons à remercier Stanislas Boda pour sa contribution au billet de blogue.

[2] Sur le processus d’élaboration du traité et ses prochaines étapes, voir notre précédent billet de blogue intitulé « L’analyse du “Traité pandémie”par l’Organisation mondiale de la Santé : une prouesse malgré un multilatéralisme fragilisé », accessible en ligne à l’adresse suivante : https://www.h-pod.ca/actualite/ladoption-du-traite-pandemie-par-lorganisation-mondiale-de-la-sante-une-prouesse-malgre-un-multilateralisme-fragilise  

[3] Pour une présentation détaillée du projet de recherche et de l’équipe, voir la présentation disponible sur le site du H-pod : https://www.h-pod.ca/projet-oms

[4] Voir notamment sur ce point : Catherine Régis, Gaëlle Foucault, Jean-Louis Denis, Pierre Larouche et Miriam Cohen, « Challenges for impact evaluation of WHO’s normative output », (2024) 102-10 WHO Bulletin 683.